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La Plage du Morse
21 septembre 2014

Un village français, saison cinq, et l'effet pilule rouge.

Bonjour à tous ! Aujourd'hui, une fois n'est pas coutume, on va parler de média français, et plus exactement, de série française. Oui, parce qu'il y en a qui sont bien. Si si.

La série en question est "Un village français", créée par Frédéric Krivine, Philippe Triboit et Emmanuel Daucé. Elle est diffusée sur France 3 depuis 2009, et en est à sa cinquième saison. L'histoire se passe dans un petit village français (surprenant, je sais), Villeneuve, pendant la seconde guerre mondiale, et tourne autour de la vie de ses villageois, bouleversée par l'occupation allemande.

Dans l'ensemble, la série est très bonne. Elle évite très bien les clichés du méchant collabo vs le gentil résistant, en présentant tout le monde comme des êtres humains crédibles, obligés de faire des choix, avec des motivations plus ou moins louables. Ils sont recherchés et développés, et ce sont leurs actions et interactions qui portent l'histoire, et c'est quelque chose que j'aime beaucoup.

Donc je regarde assidûment les quatre premières saisons avec beaucoup d'enthousiaste, et je ne manque pas de chanter les louanges de la série à tout le monde, comme je le fait avec les choses que j'aime. Puis vient la saison cinq, et malheureusement je ne peux pas la regarder lors de sa diffusion, trop de travail. Du coup, je me rattrape pendant les grandes vacances. Seulement voilà, entre-temps, j'ai passé pas mal de temps à me renseigner sur le féminisme, et j'ai "pris la pilule rouge", si l'on peut dire. En référence à cette petite BD écrite et dessinée par Sinfest (je mettrais bien le lien vers le site de Sinfest lui-même, mais il semble ne plus fonctionner), où on propose à une jeune femme un choix à la Matrix, et en prenant la pilule rouge, elle s'aperçoit qu'il y a du sexisme absolument partout.

Mais je suis confiante, Un village Français a d'excellents personnages féminins, divers et variés, donc il n'y a pas de problème n'est-ce pas ? Au début, non. L'action se passe en 43, les allemands sont en train de perdre la guerre et tentent tant bien que mal de maintenir l'ordre et de mettre la main sur les résistants et les maquis (des regroupements de résistants armés) qui fleurissent de partout. De nouveaux personnages entrent en jeu dans cette saison : un groupe de réfractaires entrés dans la clandestinité pour échapper au STO (Service de Travail Obligatoire), et une nouvelle institutrice. C'est cette dernière en particulier qui m'intéresse. Elle se nomme Marguerite, et possède un passé un peu flou. Le directeur, Jules et l'autre institutrice de l'école, Lucienne (qui sont mari et femme) l'accueuillent et lui donnent le poste de professeure de chant. On comprends que Marguerite cache quelque chose, mais on ne sait pas si ça a trait à la résistance où à quelque chose de plus personnel. Elle se lie d'amitié avec Lucienne, de façon assez touchante.

Pendant ce temps là, Les réfractaires forment un maquis, principalement parce que leur leader, Antoine, veut entrer dans la résistance moitié par conviction personnel, moitié parce qu'il s'est entiché de Marie Germain, une des principales actrice de la résistance dans la région. Mais sa soeur Joséphine, inquiète pour lui, va le voir et le supplie de rentrer. Il ne veut rien entendre. Un peu plus tard, elle et un autre résistant se font arrêter par la police, qui veulent connaître la position du maquis Antoine. Et Joséphine, pour ne pas parler... se jette par la fenêtre et meurt. Ce qui est dommage, car son personnage se résumait à "j'aime beaucoup mon frère et je ferais tout pour lui", elle aurait bien mérité plus de développement. Surtout qu'après, on montre à quel point ça affecte les hommes : son mari, son frère, les flics présents qui sont tenus pour responsables, etc. Suer le coup, ça m'a dérangé un peu, mais ça a pas encore fait tilt.

Prenons le cas d'une autre femme : Hortense Larcher, femme de l'ex-maire et maîtresse du chef de la Gestapo locale, Heinrich Müller. Son personnage est assez problématique en soi, car elle contribue peu à l'intrigue, et quand elle agit, c'est toujours en rapport à un homme. Son mari, son fils, son amant, etc. Cette saison, elle essaie d'aider son amant à se procurer de la morphine pur son amant, qui souffre du dos. Mais elle se fait arrêter et donne une occasion au maire, Chassagne, de se venger de Müller qui l'a humilié. ET comment se venge-t-il ? En forçant Hortense à coucher avec lui pour avoir la morphine. Charmant. D'autant que ce n'est pas la première fois qu'un homme la force à avoir des relations sexuelles en échange d'un service. Et évidemment, on ne s'appesentit absolument pas sur comment ça l'affecte, elle. Quand Müller apprend que la morphine vient du maire, il vire Hortense de chez lui, et elle se retrouve seule, sans moyens, complètement à la rue. ça dure, allez, un épisode (et encore, c'est pas l'intrigue principale), puis Heinrich revient s'excuser et pouf ! Hortense disparaît presque complètement de l'intrigue.

Voilà qui commence à sentir un peu le pâté, mais ça fait toujours pas complètement tilt. Continuons.

Eliane travaille à la scierie locale comme secrétaire. Elle est aussi la taupe/maîtresse (je... crois ?) non consentante du commissaire, Marchetti, à qui elle fourni des renseignements dans l'espoir d'avoir des nouvelles de son copain, emprisonné par les Allemands. Encore une femme dont les motivations se posent uniquement en rapport à un homme. Sans compter que la façon dont la traite Marchetti est extrêmement malsaine (et présentée en temps que telle, donc il y a au moins ça). A chaque scène entre ces deux-là, je craignais qu'il ne la frappe, ne l'agresse, voire la viole. C'était vraiment répugnant et effrayant. Eliane trahit Antoine et Jospéhine à Marchetti, et, rongée par le remord et dégoûtée par sa vie, tente de se suicider. L'occasion pour Marchetti de montrer qu'il n'est pas si immonde que ça, car il propose de lui offrir une certaine protection en l'épousant. C'est censé être... sympathique ? Mais vu la façon dont il la traitait, c'est juste angoissant. Et, pour couronner le tout, Eliane finit par se faire tuer par Antoine pour avoir vendu sa soeur aux flics, et meurt, comme ça, dans les bras de Marchetti (qui montre encore une fois qu'il n'est pas complètement monstrueux. Parce que c'est très bien de faire souffrir les personnages féminins uniquement pour donner de la profondeur aux personnages masculins, très progressiste. Yerk). Et, évidemment, Eliane n'était que très peu développée en tant que personnage.

Là, je commençais vraiment à me sentir mal à l'aise. Mais c'est pas fini !

Le beau-frère d'Hortense, Marcel, est dans la résistance communiste. Suzanne, ancienne postière, son amante, y est aussi. Avec elle, ça commence pas trop mal. Elle obtient des renseignements sur un transport d'armes Allemand et planifie l'attaque. Malheureusement, ses informations étaient incomplètes et les communistes y perdent deux de leurs hommes. Le groupe se sépare pour être moins repérable, Suzanne et Marcel partant de leur côté. Ils sont ensemble depuis un petit moment, mais se disputent beaucoup, surtout sur ce qu'ils vont faire après la guerre. Après un désaccord particulièrement virulant, ils sont chargés d'avertir un résistant qu'il a été dénoncé et qu'il doit fuir. Pendant que Marcel s'entretient avec le résistant, Suzanne décide de le quitter, lui laisse une lettre et s'en va, juste à temps pour éviter la police, qui arrête Marcel. ET évidemment, elle utilise son vrai nom dans la lettre, et ça fait sauter les faux papiers. C'est un thème constant tout au long de la saison, les femmes mettent en danger des hommes par leurs actions. Sans compter qu'elle disparaît une fois que l'opération lancée par les résistants échoue à libérer Marcel. ET ne réapparaît que sur le lit de mort de ce dernier.

Une petite voix dans ma tête commençait à me souffler que c'était assez sexiste, tout ça. Et c'est TOUJOURS PAS FINI !

La SEULE (enfin, pas exactement, mais on verra ça plus tard) femme dont les motivations n'ont rien à voir avec les hommes (c'est une résistante gaulliste), c'est Marie. Celle dont Antoine s'est entiché. Eh bien cette saison, elle ne fait RIEN. Elle sert juste de motivation à Antoine. Elle donne son avis sur ses actions mais se fait ignorer. Par tout le monde. Alors qu'elle est censée être une résistante endurcie et respectée.

Mais la cerise sur le gâteau reste à venir. Il est temps de revenir enfin à Marguerite. Dès le début, j'avais quelques suspicions à son sujet. En effet, elle avait une certaine façon de regarder Lucienne, l'institutrice, de lui sourire. Une lettre mentionnait qu'il ne fallait pas qu'on découvre "qui elle [était] vraiment", et elle mentionnait un amour de jeunesse répondant au nom de Camille, un prénom neutre. Mais bon, je n'espérait pas grand chose, parce que malheureusement, les personnages homo/bi/pansexuels restent assez rares dans les médias. Mais il s'avère que j'avais raison ! Marguerite est bien homosexuelle. Je me suis dit chouette, enfin un peu de variété (tout le monde est blanc et hétéro dans cette série) ! En plus, elle est très sympathique, enjouée, malicieuse, débrouillarde, et elle ne tombe pas dans les clichés. Évidemment, quand Lucienne le découvre, elle est absolument horrifiée, mais bon, je peux comprendre, à l'époque c'était encore moins bien accepté qu'aujourd'hui. Bon.

La finale de la saison tourne autour d'une action tentée par le maquis Antoine : faire un défilé militaire dans le village pour le 11 novembre. Mais pour ça, il faut attirer les Allemands hors de Villeneuve, et saboter la radio pour que ceux qui restent sur place ne puissent avertir les autres de ce qui se passe. Cette dernière tâche incombe à Marguerite et Lucienne (uniquement parce que le mari résistant n'est pas là, hein). Si Marguerite est partante (elle est rentrée dans la résistance locale), Lucienne n'est pas très enthousiaste, mais finit par se laisser fléchir. Elles décident que Lucienne retiendra le technicien de radio, qui a un faible pour elle, tandis que Marguerite s'occupera du sabotage. Seulement voilà, il y a un hic. Le technicien a en fait un faible pour Marguerite. Qui doit retenir le type en... couchant avec lui.

Donc, ils ont introduit Marguerite, ont révélé qu'elle était homosexuelle, pour ensuite la forcer à coucher avec un homme. C'est... dégueulasse. C'est déjà dégueulasse quand la narration force une femme à choucher avec un type pour x ou y raison (pauvre Hortense), mais c'est encore pire quand la femme est lesbienne. Parce que ça traîne tout un tas de clichés sexistes et homophobes, parce que notre société centrée sur les hommes cherche à tout prix à faire exister les lesbiennes en rapport aux hommes (soit elles les haïssent, soit elles cherchent "le bon", soient elles existent juste pour faire fantasmer les mecs hétéros). Bref, c'est vomitif.

Enfin bon... le plan fonctionne à peu près, les résistants défilent dans Villeneuve, chantent la marseillaise et Lucienne et Marguerite échange le baiser du soulagement. Mais après, bien évidemment, viennent les représailles (anticipées par Marie, mais à aucun moment personne ne se dit qu'on aurait dû l'écouter, évidemment), Marguerite se fait interroger, et, pour éviter l'emprisonnement et la torture à Lucienne et sa famille, elle trahit Antoine, en échange de laisser-passers pour la suisse. Apprenant ça, Jules, le mari-directeur-résistant, décide d'exécuter Margurite, mais ne peux s'y résoudre (à ce moment-là de l'intrigue, j'étais littéralement en train de supplier la série de ne pas tuer le seul personnage féminin homosexuel, qui en plus n'agit pas en fonction des hommes). Il décide de la laisser partir, mais quelqu'un vient pour faire le boulot. Jules demande à Lucienne de prévenir Marguerite, mais au lie de ça, Lucienne décide plutôt d'essayer de résoudre un conflit entre deux gamines qui se disputent une poupée.

Je.

C'est grotesque. Il y a une vie en jeu, mais non, ils décident qu'au lieu de sauver Marguerite, ils vont caler une petite métaphore de merde (les deux gamines représentent Marguerite et Jules, et la poupée Lucienne) qui montre à quel point Lucienne est déchirée, perturbée par le bisou.

C'est horrible. Vraiment horrible. Marguerite meurt pour que les réalisateurs puissent caser leur métaphore. Maintenant, cette histoire ne tournera qu'autour du couple hétéro, de comment Marguerite les a affectés.

Sans compter que tout au long de la saison, ils l'ont présentée, plus ou moins subtilement, comme quelqu'un à qui on ne peut pas faire confiance. Et quand c'est le SEUL personnage qui ne soit pas hétérosexuel, ça devient très problématique.

Et c'est là que tout à fait tilt. Dans cette saison, trois femmes sont mortes, pour les punir d'avoir mis en danger des hommes. Mortes comme des merdes, dois-je préciser, ça allait vite et puis après hop hop hop, on passait directement aux hommes que ça affectait. Par contre, les deux personnages masculins sont eux tués par les allemands, et présentés comme fiers et courageux jusqu'au bout, bref, ce sont des héros. Même si l'un d'entre eux était le plus répugnant collabo qu'on puisse imaginer.

Ce genre de choses est le pire genre de sexsime, parce qu'il est insidieux. Après, je ne sais pas si les réalisateurs sont consciemment sexistes ou juste ignorants, mais maintenant, je vois la série d'un autre oeil. En tout cas, j'ai été profondément déçue, et la série est pour moi gâchée. Après, je ne me rappelle pas suffisamment des saisons précédentes pour affirmer si c'était problématique depuis le début ou si c'est nouveau. J'espère en tout cas que ça s'améliorera à l'avenir :/

Et pour parachever le tout, quand je suis allée sur les forums voir ce que les gens en pensaient, j'ai trouvé plein de remarques comme quoi l'homosexualité de Marguerite était inutile, que les réalisateur avaient "cédé à la mode" de mettre des homosexuels partout (ce genre de commentaire me donne envie de foutre le feu? C'est PAS une mode putain, c'est juste, que, tu sais, les personnes LGBTQIAP+ ça existe, et qu'elles ont autant le droit que les autres d'être représentées dans les médias, et on en voit plus maintenant parce que les gens commencent ENFIN à comprendre ça.), ou qu'ils avaient hâte de voir comment la mort de la seule homosexuelle de la série allait affecter le couple hétérosexuel.

 

Donc pour résumer, la saison 5 d'un village français m'a rendue très triste alors que d'habitude, regarder cette série me met en joie.

 

(Oh, et j'ai oublié de mentionner que la plupart des épisodes ne passent pas le test de Bechdel, et quand ça passe, c'est laborieux).

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Commentaires
A
Merci pour cette analyse très intéressante qui m'a fait réaliser qu'en effet il y a du sexisme dans cette série, pas seulement à cause de l'époque décrite, mais aussi dans le propos des concepteurs de la série - du sexisme d'aujourd'hui. <br /> <br /> Je pense tout de même que parfois, vous mélangez les deux plans: ainsi, Lucienne est une femme de son époque, élevée dans l'idée qu'elle est inférieure et dépendante, que l'homosexualité est mauvaise, etc. Ce ne serait pas réaliste qu'il n'y ait aucune femme de ce genre dans la série! Je ne trouve pas non plus que ce soit dégueulasse que le scénario montre ("force"?!) des femmes subissant des rapports sexuels avec des hommes pour obtenir quelque chose. Ce qui est dégueulasse, c'est la réalité - car je crois que c'est hélas assez réaliste, que ce genre de choses arrive souvent, et surtout en temps de guerre. <br /> <br /> Par contre, je déplore aussi et très vivement que le traumatisme de ces femmes ne soit pas montré. J'ai l'impression que c'est vraiment par ignorance: A mon avis, l'équipe de scénaristes (des hommes exclusivement, je crois?) comprend très bien qu'un viol est terriblement traumatisant - d'où le malaise quand on voit les scènes entre Marchetti et Eliane, et heureusement qu'il y a un malaise! Je trouve plutôt positif qu'on montre ce genre de prise de pouvoir malsaine d'un homme sur une femme, car cela existe, et ici ce n'est pas minimisé, ni voyeuriste.<br /> <br /> En revanche, les scénaristes ne semblent même pas avoir l'idée qu'Hortense puisse être traumatisée par ce que Chassagne et d'autres la forcent à faire. Quoique... elle sombre peu à peu et semble n'avoir plus aucune estime de soi. Elle est aux mains des hommes, ne semble pas savoir qu'elle peut se libérer - et ça aussi, je crois que ça existe, malheureusement. Je regrette toutefois que le scénario ne soit pas plus explicite là-dessus.<br /> <br /> Dans l'ensemble, je crois que la série était moins sexiste dans les 4 premières saisons. N'y a-t-il pas eu un changement de réalisateur, d'ailleurs, entre la saison 4 et la saison 5? Il me semble que les femmes n'étaient pas montrées que comme des entraves, des gaffeuses, bref, des empêcheuses de faire la guerre ou de résister en rond, comme elles le sont effectivement trop dans la saison 5. Mais patience, leur châtiment arrive dans la saison 6!
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